mercredi 24 mars 2010

Interview exclusive du responsable urbanisme de la ville de Hambourg

Soul Kitchen, en ce moment en salle

Le cinéaste allemand Fatih Akin réalise là une comédie sur la mutation chic des quartiers de Hambourg.

Hambourg a connu la même évolution que les trois quarts des grandes villes occidentales, voyant le mode de vie des enfants de la classe moyenne cultivée et vaguement élitiste devenir une nouvelle norme - New York reste le modèle, et à ce jeu Paris n’est pas en reste.

Adam, l’acteur principal, peut méditer ça. Ce film est sur lui. Fils d’émigré grec, il ouvre il y a dix ans la Taverna, dans le quartier d’Ottensen. Un bar servant du tsatsiki sur des airs de rebétiko. L’artère est un centre de ralliement pour les fêtards, qui s’y restaurent en sortant des clubs et y trouvent des loyers à la mesure de leur allocation chômage. La suite est dans le film. «Tu sais, au départ, Fatih a écrit la première version du script alors qu’il venait d’acheter un nouveau traitement de texte. Il a commencé à taper quelques mots : "Adam n’a pas le moral, sa copine et lui viennent de se disputer et son bar ne marche pas bien."» Akin confirme : «C’était il y a cinq ans. Mais, entre-temps, Head On est sorti et l’accueil qu’il a reçu m’a amené à faire directement un film d’une assez grande envergure, De l’autre côté. J’ai mis Soul Kitchen en veilleuse, j’ai même pensé le faire réaliser par quelqu’un d’autre. Mais c’est l’histoire de mes meilleurs amis, et c’est mon histoire : une partie de moi-même. J’ai compris que je devais tourner ce film tout de suite si je ne voulais pas l’enterrer à jamais : Adam a 39 ans, moi bientôt 38. On va devoir un de ces jours faire nos adieux à un mode de vie qui nous a vus sortir pendant vingt ans tous les soirs. Il y a juste un moment où ça n’a plus de sens et où tu aspires à autre chose. Surtout, les quartiers tels qu’on les a connus sont devenus méconnaissables ou vont disparaître, le rapport à la ville n’est plus le même. Pendant qu’on s’amusait, on n’a pas vu ce qui se passait. C’est en travaillant sur le script que l’évolution des choses m’a paru claire.» 


Par  PHILIPPE AZOURY  pour Libération




mardi 2 mars 2010

lundi 1 mars 2010

Il était une fois Hambourg...

Hanse teutonique ou germanique, ou encore, la ligue hanséatique est l'association des villes marchandes d'Europe du Nord, dont Hambourg fut un membre fondateur. Du XIII au XVIème siècle, la ligue hanséatique eut un rôle dominant au niveau commercial (monopole sur la mer Baltique et passerelle entre l’Orient et l’Occident), politique et militaire.


Elle fit de Hambourg une ville riche et reconnue, et reste aujourd’hui constitutive de l’identité hambourgeoise


Après la découverte de l’Amérique et d’une voie maritime vers l’Asie, Hambourg réorienta ses activités portuaires vers l’importation et le stockage de produits, en vue de leur distribution vers le nord du pays. Cela aboutit notamment à la création du Port Libre en 1888 et à la construction des entrepôts du quartier Speicherstadt.


Entrepôts Speicherstadt


En juillet et août 1943, il y eu sept raids aériens rapprochés menés par les bombardiers britanniques et américains. Leur but était de détruire entièrement la ville afin de réduire les capacités militaro-industrielles allemandes. Ce fut l’attaque aérienne la plus meurtrière en Europe. Des quartiers entiers ont été réduits en poussière (350 000 habitations détruites, un million de sans abris).



Hambourg et les cultures underground

Hambourg a une longue tradition des cultures alternatives. Le festival rock de la Reeperbahn de Sankt Pauli réunit chaque année les espoirs les plus prometteurs et de la scène internationale. 

Lors du week-end, pas moins de 150 artistes se produisent, dans 24 clubs différents. Les spectacles au Moondoo Club attirent un public large et varié, une adresse historique pour les fans des Beatles. Au début des années 60, ce club s’appelait le Top Ten et c’est ici que les quatre musiciens de Liverpool ont fait leurs débuts sur scène. 


Les Beatles par Günther Zint, Sankt Pauli, 1966


Le Molotow est également institution musicale. The White Stripes, The Hives, The Killers, Mando Diao, Maximo Park... tous ces groupes ont fait leur premier concert à Hambourg au Molotow. Les hausses de loyers et la spéculation immobilière menacent l’existence de ce caveau.


Depuis 20 ans, le groupe Mucky Pup présente à son public un spectacle associant le hardcore et l’humour. Ce groupe du New Jersey a trouvé son public au Hafenklang, un lieu dont la programmation varie de la soul à l’électro, en passant par le punk et la performance.


Si la scène musicale est riche, les autres arts ne sont pas en reste. Les artistes se regroupent dans des squats, héritiers de ceux de la Hafenstrasse, où les forces contestatrices de la ville s'étaient réunies dans les années 80 et dont il reste les façades colorées. 


Les artistes sont aujourd'hui dans les quartiers populaires comme Gängenviertel, Altona, Sankt Pauli, mais pour combien de temps encore ?


Hambourg : une scène artistique riche, pleine de surprises, révélatrice de talents. Mais une diversité menacée ?


Plus d'infos : St Pauli la musicale


Edit 06/03/2010, pour les nostalgiques, les Beatles au TopTen en 1961 (Hambourg)


Les Beatles à Hambourg en 1966 (on entend surtout les groupies!!)


Hambourg ville riche

Avec 1,7 millions d'habitants, Hambourg est la deuxième plus grande ville d'Allemagne après Berlin. Le PIB par habitant est de 49 100 euros, le 1er des 16 Länder allemands, bien au-dessus du PIB moyen de 27 300 euros. Hambourg est une ville riche et prospère.


Les activités du port sont à l’origine de nombreux investissements, notamment dans le domaine des médias, de la construction aéronautique et navale, de la logistique, de la chimie, de la médecine et des nouvelles technologies.


Avec plus de 10 000 personnes travaillant pour Airbus et 7000 aux ateliers de la Lufthansa, Hambourg est le 3ème centre d'aviation civile mondial après Seattle et Toulouse.


120 000 PME sont implantées dans la région et parmi les entreprises les plus importantes, on compte Otto (VPC), les groupes pétroliers Exxon, Shell, BP et Dea, Tchibo (café), Airbus et Beiersdorf (cosmétique, Nivea) et d’autres entreprises connues comme Montblanc. 

Hambourg ville de grands projets

En 2007, le Parlement de Hambourg votait à l’unanimité ce qui allait devenir le plus important et ambitieux projet d’urbanisme pour un centre-ville en Europe : Hafencity. Ce projet d'un coût de plusieurs milliards attirait dès lors la curiosité des urbanistes et architectes du monde entier.


Il s'agit du réaménagement d'une ancienne partie du port de Hambourg en une ville nouvelle : pas moins de 155 hectares à réhabiliter, principalement des anciens hangars ou entrepôts.  HafenCity devrait compter en 2020, 12 000 habitants, 40 000 emplois ainsi que de nombreux équipements culturels. 



HafenCity Hamburg GmbH


La ville a pour cela fait appel à des grands noms de l'architecture. Le plan global a été conçu par Rem Koolhaas (OMA), qui a aussi dessiné le futur Centre des sciences




La philharmonie de l'Elbe, emblématique du projet, a été dessinée par le cabinet d’architectes suisses Herzog & Meuron auxquels on doit notamment le stade olympique de Pékin. Sensée devenir la plus spectaculaire salle de concert, le budget a déjà été multiplié par trois :



Site du Elbphilharmony



Pour en savoir plus, la gazette de Berlin

Site officiel du projet HafenCity

Les "creatives class" au secours des quartiers populaires ?

Selon Richard Florida, les villes doivent se réinventer. A la différence des années 90, elles ne doivent plus attirer des entreprises, mais des personnes. Mais pas n'importe lesquelles : celles qui inventent, créent, sont mobiles, qualifiées et connectées, qui par leur venue vont façonner une nouvelle image de la ville. Il les nomme les classes créatives. 


Richard Florida est aujourd'hui le gourou de nombreux urbanistes. 


Richard Florida


Il y a quelques années, Jörg Dräger, alors ministre des sciences d'Hambourg, s'est présenté au Sénat avec le livre de Richard Florida sous le bras, invitant les membres à le lire. Peu de temps après, la ville d'Hambourg engageait Roland Berger, pour étudier l'application de la théorie de Florida à la ville d'Hambourg. Cela donnera « Hambourg City of Talent ». Ses idées sont aujourd'hui à la base de la stratégie de développement de la ville. 


Pour en savoir d'avantage : 

Qu'est-ce-que la gentrification ?

Le phénomène de gentrification est le processus par lequel le profil économique et social des habitants d'un quartier se transforme au profit d'une couche sociale supérieure. Concrètement, c'est quand un quartier populaire bien placé gagne en image et qu'il attire des populations plus aisées. Par entraînement, les services vont s'accroître, les loyers vont augmenter ce qui va repousser les classes populaires vers d'autres quartiers plus périphériques. 


Hambourg en plein hambourgeoisement ?


Sur Wikipedia

La gentrification : quels risques pour la ville ?


La question centrale de la gentrification est, avant d’être urbanistique ou économique, une question sociale. À qui appartient la ville ? Appartient-elle au plus grand nombre ou faut-il accepter que les plus nantis s’emparent de la ville et chasse les plus pauvres et mènent la vie dure à la classe moyenne ?


Le risque avec la gentrification est de reléguer les ménages les plus modestes en périphérie, entraînant un phénomène de ghettoisation des banlieues, une ségrégation sociale... 


Quel avenir pour le quartier Gängeviertel ?

À 15 minutes du centre ville, c'est un des plus anciens quartiers de Hambourg. Il est pourtant aujourd'hui difficile de retrouver des traces de son passé, disparu sous la pression immobilière et le passage des bulldozers de promoteurs zélés. Il reste douze maisons du 19ème siècle. Elles ont été réinvesties par un collectif de 200 artistes, dont l'objectif est de leur redonner vie, et de revitaliser par là le quartier. 


Gunter Gluecklich


Pour combien de temps ? Le promoteur hollandais Hanzevast a racheté les maisons, souhaitant y construire immeubles de bureaux et appartements de luxe...

Robert Etzold


Gängeviertel et ses artistes :



DDP


DPA


Pour en savoir plus : 

Gentrifizierung in Hamburg de Sebastian Hammelehle (all)

Un futur Ikea à Altona ?

Ikea projette de construire un nouveau magasin dans le quartier d'Altona. Mais l'idée divise les habitants. Les supporters du projet avancent que cela apportera les investissements dont ce quartier en déclin a besoin. Les opposants et les artistes locaux avancent eux que cela ne fera qu'accélérer la gentrification du quartier. L'immeuble est aujourd'hui la résidence de plus de 130 artistes locaux, qui en ont fait leur atelier et y organisent expositions et concerts.


"Altona se réjouit d'Ikea"

L'immeuble concerné


Bientôt remplacés par 20 000 m2 de surface commerciale ? Un cube jaune et bleu à la place de cet immeuble ancien ? L'avenir nous le dira...


Certains proposent d'installer Ikea à la place du Philharmonique d'Herzog et de Meuron :


Pour aller plus loin, un article du Spiegel (en)

Sankt Pauli, du quartier rouge au quartier bourgeois ?

Bordant l’Elbe, Sankt Pauli accueillit longtemps tout ce que l’on ne voulait pas voir en ville comme les hôpitaux ou les usines polluantes. Les fabriques de cordage (Reepschläger) donnèrent leur nom à l’artère principale de ce quartier très animé : la Reeperbahn. 


Quartier associé à la prostitution et à l’industrie du sexe, on y trouve de nombreuses maisons closes, sex shop, boîtes de strip-tease. Cette tradition remonte au XVIIe siècle. 

En 1610, le Comte Ernst von Schauenberg aménagea ce qu’on appelle « Große Freiheit » (« La Grande Liberté »), en donnant à cette zone de nombreux privilèges pour les manufactures et la liberté de religion pour tous ceux qui souhaitaient s’y installer. Les libertés s’étendirent progressivement aux divertissements comme les théâtres, cirques et brasseries. La prostitution commença à s’établir à partir du 19ème siècle dans ce quartier portuaire.




Si sa réputation sulfureuse l’a rendue célèbre, la Reeperbahn concentre également l’essentiel des sorties des Hambourgeois. Les loyers modérés attirant artistes et étudiants à Sankt-Pauli, le quartier rouge est devenu, les années passant, un quartier « in », presque bobo. 




Le quartier est aujourd'hui en pleine modernisation. Et ça ne réjouit pas toujours les habitants. Si l'objectif d'en faire un quartier propre et sûr est tout à fait louable, le fait est que le quartier est aujourd'hui livré aux spéculateurs immobiliers. Les gratte-ciels poussent comme des champignons. Plus on paie, plus on peut construire haut. Et les loyers grimpent d'autant. La solution : résister ou s'en aller. 


La résistance s'organise à Sankt Pauli

Depuis 2008, le réseau « Es regnet Kaviar – il pleut du caviar » organise la lutte contre la soi-disant valorisation de Sankt Pauli. L’association citoyenne No BNQ (pour Bernhard Nocht Quartier ) s’oppose elle aussi au projet du futur quartier Bernhard Nocht. Une contestation pacifique, aux couleurs pop et fantaisistes, avec les Goldenen Zitronen.

En matière de résistance, Sankt Pauli peut se prévaloir d’une longue tradition. Dans les années 80, les forces contestatrices s’étaient rassemblées autour des squats de la Hafenstraße. Et déjà à cette époque, un projet de réhabilitation avait pu être stoppé, comme le rappelle l’historien Christoph Schäfer : « Les squats de la Hafenstrasse ont eu pour effet de geler les loyers pendant dix ans dans un rayon de 200 mètres. Les spéculateurs n’osaient plus investir dans le quartier. A l’heure actuelle, la question est de savoir si on parviendra à imposer l’idée d’un nouveau modèle d’urbanisation".

Le documentaire « Empire Sankt Pauli », sorti en Allemagne l’été dernier aborde ce phénomène. Les réalisateurs du film vivent dans le quartier depuis plusieurs années. Le film raconte la vie du quartier et de ses habitants. Il explique les tenants et les aboutissants de la situation actuelle et donne la parole à ceux que personne n’écoute.